En fait je me sentais libre pendant le confinement !
Je me sentais libre de mon temps, de mes occupations. Pourtant je travaillais encore un peu et je m’étais lancée dans la rédaction et l’illustration d’articles pour mon site. Pourtant je ne pouvais plus aller à l’entraînement ni aller voir ma famille ou des amis. Mais j’avais du temps pour faire d’autres choses qui me plaisent, m’intéressent. Presque plus d’obligation d’agenda, de planning, de présence, de représentation. Le système autour était figé, à l’arrêt et moi je pouvais vivre, exister d’une autre façon sans les obligations et les injonctions habituelles. Je me suis laissée gagnée par le ralentissement des rythmes, par le calme environnant, par le vide.
Je me sentais libre de mon temps, de mes occupations. Parce que soudainement déconnectée d’un système qui essaie de me faire croire qu’être libre c’est pouvoir aller travailler (et pourtant j’aime mon métier) pour pouvoir gagner de l’argent, pour pouvoir consommer, m’acheter « tout » ce dont j’ai besoin ou envie. Mais est-ce vraiment MES besoins, MES envies ou MES valeurs qui me guident ? Ou est-ce « le système » qui me dit que j’ai besoin de telle chose ou envie de telle autre ? Est-ce bien moi qui choisis la valeur et la priorité que je donne aux choses, aux personnes aux principes?
Et bien sûr, comme c’est lorsque l’on est confiné dans un appartement que l’on a envie de grands espaces, tout cela m’a ramené à mes voyages. Ces autres moments de déconnexion (voulus ceux là !) où ce genre de questionnements ont commencé à trotter dans ma tête. Il y a, comme ça, des lieux, des personnes, des instants, qui font grandir, qui remettent les priorités en perspectives, qui inspirent…
Petit retour quelques années en arrière : ma première randonnée équestre : deux semaines avec un groupe de cavaliers, en autonomie au milieu de la steppe en Mongolie…ce pays m’attire et me fascine depuis longtemps, un mode de vie nomade, libre, au milieu d’une nature encore sauvage. Un rêve qui va devenir réalité !
A mon arrivée dans la steppe, premier choc : l’impression d’immensité, la sensation d’une grande force et en même temps d’une grande vulnérabilité, le sentiment de liberté infinie à ne plus savoir qu’en faire… je ne peux pas tricher, pas me cacher, pas me défiler, j’y suis…
Alors oui, il y a l’extérieur : la vaste étendue de steppe qui semble sans limite. Plus on avance, plus on galope, plus je me rends compte de la magie qu’il y a à n’avoir pas de route à traverser, de bâtiments à contourner, de barrières à franchir, de chemin à suivre. Nous pouvons avancer à dix de front, et nous pourrions même faire une rangée avec les chevaux en liberté qui nous suivent, il y aurait encore de l’espace !
Mais il y a aussi le groupe. Je m’y sens bien, je fais partie d’un tout où chacun petit à petit prend sa place. Bien sûr, il y a nous, les touristes, et eux, les accompagnateurs. Mais, en peu de temps ces différences s’estompent, et il y a plutôt ceux qui guident et ceux qui se laissent guider. Mais pour le reste, on est tous à cheval, on joue, on communique, on participe à la vie du camp, nous sommes des cavaliers ensemble, en transhumance au milieu de la steppe…c’est ce que je ressens.
Je ne cesse de me dire qu’ils en ont de la chance de vivre comme ça ! Et ils ont l’air tellement serein, joyeux, libres !
Peu à peu des confidences se font. On parle un peu la journée, au grès des affinités équestres. Ce sont les chevaux qui décident qui « marche » avec qui. Et surtout le soir, autour du feu. Les veillées mélangent les questions-réponses, les histoires, quelques chants. C’est surtout nous qui les posons les questions au début, mais très vite, c’est à double sens. Eux aussi ont envie de savoir à quoi ressemblent nos vies. Ils semblent aussi intéressés que nous lorsque le traducteur leur transmet nos réponses ; tout le monde est tourné vers lui, il est notre conteur d’histoires, le maître de cérémonie de nos soirées !
C’est avec les récits des différents parcours de nos hôtes que je comprends que cette joie, cette sérénité, ce lâcher prise que je ressens chez eux, vient pour grande partie du fait qu’ils ont choisis d’être là, d’avoir cette vie ! Certains y sont nés et ont choisi d’y rester dans cette steppe si rude. Les deux hivers précédents ont été terribles, beaucoup de bêtes sont mortes de froid et de faim et des familles ont tout perdu. D’autres ont connus la ville, la « société occidentalisée » et ont fait le choix de revenir à une vie nomade. Mais tous savent qu’il y a d’autres façons de vivre, ce n’est pas de l’ignorance, de la méconnaissance. Ils nous disent avoir de la chance de pouvoir travailler et vivre dans la steppe, notamment grâce aux groupes de touristes comme nous. Alors oui, il y a des choses qu’ils trouvent utiles et qui leur font envie dans le « système moderne ». Et bien ils l’intègrent à leur mode de vie. Les téléphones portables sont bien pratiques pour avoir des nouvelles quand les familles et les amis sont dispersés sur d’aussi grandes distances. La télé aussi, pour être au courant des informations et de ce qu’il se passe ailleurs. Mais si on ne capte pas ? Ben on ne capte pas ! Ce n’est pas grave, c’est comme ça et ils peuvent s’en passer. Ce qui n’empêche pas nos guides de sortir, de façon assez synchrone, leurs téléphones à certains endroits du parcours. De constater que beaucoup de yourtes sont accompagnées d’une antenne parabolique et de panneaux solaires. D’observer qu’une moto, accommodée d’un tapis de selle traditionnel, se fond assez bien dans le décor d’un camp.
Alors une question me vient. Oui ma vie peut sembler plus facile, moins contraignante, plus libre parce que j’ai des machines qui travaillent pour moi, parce que j’ai l’eau courante et l’électricité qui arrivent jusque chez moi, parce que je n’ai pas à affronter des hivers à -50° … Mais ce n’est de la liberté que si je l’ai choisi se « confort », si je suis consciente des avantages et des contraintes qui vont avec.
Pour les nomades, la terre n’est à personne, elle est à tout le monde… la liberté d’aller et venir : celle qui nous a manqué ces derniers temps et qui est encore restreinte. Dans leur système, il n’y a pas de possession, mais une responsabilité commune. Est-ce que le propriétaire d’un terrain, aussi vaste soit-il, qui se sent seul maître sur ses terres, est aussi libre que ça de faire ce qu’il veut ? Ne dépend t-il pas des lois et du fonctionnement d’un système sur lequel il n’a que peu ou pas d’emprise? Ne dépend t-il pas de ce que font ses voisins et des libertés que eux prennent aussi ? Le nomade, pareillement, doit composer avec les autres utilisateurs de l’espace qu’il occupe ainsi qu’avec certaines lois : celles de la Nature. Et avec Elle pas de revendication possible : les grèves, les manifestations et les négociations ne servent à rien, ce ne sont que des pertes d’énergie. C’est à l’Homme à apprendre, à connaître et à s’adapter.
C’est peut être bien là leur vraie liberté aux nomades : ils apprennent les leçons des anciens, ils connaissent les ressources à leur disposition, ils s’adaptent à leur environnement. Et surtout, pour ceux rencontrés durant ce voyage, ils ont choisi, leur mode de vie. Ils connaissent la valeur des choses. Ça c’est la liberté !
Une liberté sans conscience équivaut à une absence de liberté. Conscience des libertés que nous avons, de celles qui nous sont retirées pour le bien commun, de celles que nous nous autorisons. Conscience que la liberté impose des choix et que si ce n’est pas moi qui choisis, quelqu’un d’autre le fera à ma place. Et il y a peu de chance que ce soit dans mon intérêt !
Mais ça pique un peu de devoir se poser des questions. Il est souvent plus facile, de « croire » au message « laisse, ne réfléchis pas, j’ai pour toi la solution facile, qui ne demande pas d’effort et qui va régler ton problème». Cela peut sembler plus commode d’adhérer à des formules toutes faites, des habitudes conventionnelles, des solutions miracles bien présentées, bien emballées qui seraient bonnes pour tout le monde. Mais ce serait oublier et nier que nous sommes uniques et changeants. Que nous vivons dans des contextes uniques et changeants et que nous avons des expériences uniques et changeantes. LA bonne solution n’existe pas.
Alors, je veux apprendre. Me connaître, sentir ce qui me va, ce qui me correspond, ce qui me donne de l’énergie. Aller voir ailleurs comment ça se passe. Découvrir d’autres systèmes de fonctionnement, de raisonnement. Rencontrer des personnes qui vivent différemment, ont d’autres modes de pensée. Comprendre ce que je peux changer ou pas dans mon quotidien, quelles sont les contraintes que je suis prête à accepter. Mais aussi chercher et me perdre, expérimenter et me tromper, faire des erreurs et recommencer. J’essais de me donner les moyens de pouvoir CHOISIR le mode de vie qui me convient le mieux. De choisir MA liberté.
« Notre liberté intérieure ne connaît pas d’autres limites que celles que nous nous imposons ou celles dont nous acceptons qu’elles nous soient imposées. Et cette liberté aussi procure un grand pouvoir : elle peut transformer l’individu, lui permettre d’épanouir toutes ses capacités et de vivre dans une plénitude absolue chaque instant de son existence. Quand les individus se transforment, en faisant accéder leur conscience à la maturité, le monde change aussi, parce que le monde est constitué d’individus. »
Luca et Francesco Cavalli-Sforza
Laisser un commentaire