Différents stress peuvent se manifester dans le corps dont les causes peuvent être multiples : choc traumatique, agression cutanée comme une cicatrice, raideurs musculaires provoquées par une posture professionnelle répétitive, tension viscérale, stress psychologique, … Le corps peut mettre en place une protection autour de n’importe quel phénomène de tension (articulaire, viscéral, musculaire, neurologique, psychologique,…).

Au démarrage, la dysfonction est locale, puis elle va diffuser vers la périphérie. La souffrance attire à elle tout ce qui est à proximité puis cherche de plus en plus loin un crédit de détente en se recroquevillant sur elle-même. Cette onde peut se propager localement dans les différentes couches ou diffuser en sus et sous .L’épicentre est la zone la plus dense et avec la perte de mobilité et d’élasticité la plus importante.

L’architecture humaine est fragile, mais sa force vient du fait qu’elle est adaptative. La moindre différence de tension sur un segment va se répercuter à distance. S’il y a une torsion d’un côté, une contre torsion va se créer ailleurs. La zone en protection va être compensée au niveau sus et sous jacent pour conserver une verticalité viable avec la station debout. La compensation protège la zone en souffrance et permet une diminution de la douleur ou de la tension par la mise en place d’une position antalgique.

Cependant, le corps a toujours ses impératifs d’équilibration du centre de gravité et de prise d’information par les capteurs à respecter. Il  va donner priorité à la position de la tête (regard et oreille interne) ainsi qu’à celle des pieds (appui au sol). Entre ces deux localisations, tout est possible. La seule règle est d’assurer au maximum l’équilibre en tenant compte de la souffrance qui reste à protéger. Pour cela le corps, par l’intermédiaire des circuits neuromusculaires, se sert du système musculosquelettique.

Les schémas de compensation ne sont pas physiologiques, mais adaptés à une problématique que rencontre le corps. Ils ne disparaissent pas systématiquement lorsque l’origine de la protection est levée. Une fois la tension soulagée, on pourrait s’attendre à ce que tout rentre dans l’ordre. Mais parfois, même lorsque la crise est passée, le corps peut rester figé. Plus la protection a dû être maintenue longtemps, plus la mémoire du schéma est ancrée dans le mode de fonctionnement de la personne. La déformation est inscrite sous forme de trace mnésique dans le système nerveux central et sous forme tonique dans le tissu musculosquelettique.

Dans une pathologie qui s’installe, la diffusion du traumatisme se fait également entre le physique et l’émotionnel. Si le stress de départ est psychologique on parle de pathologie psychosomatique. De même, une dysfonction mécanique chronique va aussi perturber l’état émotionnel de l’individu (pathologie somato-psychique : du corps vers l’esprit).

La récupération de la structure se fait en fonction de ses capacités d’adaptation. Plus le corps a de contraintes dont il doit tenir compte, plus il est dur pour lui d’aller chercher une autre solution. Plus l’inconfort (physique ou émotionnel) qui a conduit à une compensation a été important, plus il est difficile pour le corps et le système nerveux de lever la protection. Et il y a aussi la capacité à créer et intégrer de nouveaux schémas (plasticité cérébrale) qui diminue avec l’âge.

Pour Peter. A. Levine, psychologue-éthologue, la réponse de figement après un traumatisme ne se résout pas facilement parce que la peur de ressentir cet « état de mort » bloque l’immense quantité d’énergie enfermée dans le système nerveux. Lorsque le néo-cortex prend le dessus sur les réponses instinctuelles il empêche le cycle de s’achever et donc de lever le figement. Cette réponse inachevée entraîne ensuite les symptômes traumatiques.

Dans beaucoup de cultures on retrouve la croyance selon laquelle « endurer » serait synonyme d’être fort et qu’il serait héroïque de poursuivre sa route « comme si de rien n’était » en dépit de la gravité des symptômes. Grâce à la force du néo-cortex, à notre capacité de rationaliser, nous pouvons en effet donner l’illusion de pouvoir sortir d’un évènement grave sans une égratignure. Nous continuons notre route en serrant les dents, comme si rien ne c’était passé. Mais cette apparente solidité n’est qu’un leurre. Les effets du traumatisme s’amplifient, se consolident, se chronicisent et les réponses inachevées, figées dans le système nerveux deviennent des bombes à retardement.

Le felt sense est une expérience physique, la conscience corporelle d’une situation, d’une personne ou d’un évènement. Il est le moyen par lequel nous vivons la totalité de la sensation. Pour Levine, les racines du traumatisme viennent de la déconnexion d’avec notre felt sense. Un traitement efficace consiste à permettre à la personne de garder le cortex préfrontal, celui qui « observe », connecté tout en expérimentant simultanément les sensations primitives brutes engendrées dans les parties archaïques du cerveau. La clé de cette délicate entreprise étant d’arriver à ressentir en toute sécurité des sensations et des émotions à la fois très intenses et subtiles.

C’est là que le thérapeute intervient. Il faut arriver à renouer le contact avec la structure et le corps en protection. Le thérapeute doit être le médiateur entre un corps en souffrance, sur la défensive et un besoin nécessaire de mouvement pour la vie quotidienne. Le traumatisme n’est pas, ne sera pas et ne pourra jamais être complètement guéri tant que l’on ne tiendra pas compte du rôle essentiel joué par le corps. Et, de même, au-delà de la vision mécaniste et réductrice de la vie, il existe une connaissance sensible, émotionnelle, réfléchie de l’organisme vivant.

 

La façon de se tenir debout est un témoin de l’histoire d’une personne et des relations qu’elle entretient avec ses contraintes internes et son environnement.

 

« La situation la plus propice à l’expression de l’autre est donc la situation où il ne se sent ni jugé, ni analysé, ni interprété, ni guidé par des conseils, ni manipulé ou harcelé par des questions. C’est une situation où il se sent écouté »

J C Abric

 

 

 

Traité d’analyse posturales de compensations neuro-motrices – Wilfrid Delamer

Réveiller le tigre – Peter A. Levine

Guérir par-delà les mots – Peter A Levine